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Le baiser
Quarante-trois. Il me dit que c’est le quartier Montmartre. Je n’ai jamais vu Paris. Il m’en a envoyé un bout. C’est largement de quoi me l’imaginer. Je suis content, cette carte donne de la matière à mon rêve le plus cher. Voir la France… réussir. Comme mon cousin, je n’oublierais personne et rendrais fier ma famille. Je n’ai encore vu que mon village et la capitale. Je vis à Bè Kpota, quartier situé dans le neuvième arrondissement de Lomé. Mon nom, c’est Isidore. Isidore Kossi Mensah. Kossi, c’est le prénom donné à tout enfant né un Dimanche; Mensah, parce que je suis le troisième garçon de la famille. Bè, village du XIIème siècle, situé le long de la lagune au bord du littoral atlantique, est aujourd’hui un quartier populaire de Lomé. « Bè » se traduit par l’expression française « caches toi ». C’est de l’éwé, le dialecte du sud du pays. C’est le langage de nos ancêtres. A Lomé, nous parlons aussi, couramment le français mais au sein des villages reculés dans les terres, il ne se parle et s’apprends qu’à l’école. Il y a quatre ans, Bê a été rénové par l’ONG Allemande weltweit-verbindung (solidarité universelle). La rénovation a duré à peu près un an. Nous voyions de nouveaux bénévoles tous les deux, trois mois. Nous les avons aidés avec mes amis de l’association, miwo deka (Ensemble). Nous faisions venir des bénévoles français pour apporter de la main d’œuvre supplémentaire. C’était le prétexte d’un triple échange culturel. Cette année avait aussi endurci ma volonté de voir la France.
Pourquoi le cousin m’a-t-il envoyé cette carte là ? Pourquoi cette rue ? Le quarante trois. Il a trouvé la photo jolie. Il me dit qu’elle reflète ce qu’il vit là-bas. Mon cousin Samuel est devenu romantique. C’est sûrement le fait de vivre dans une grande ville, faite entièrement de béton. Je pense. Être riche, ca rend romantique. J’en suis sûr. Je suis sûr qu’il n’y a pas que ça, que La richesse cache bien d’autres secrets. Il me dit qu’il est heureux ; qu’il espère que je pourrais gagner assez d’argent pour le rejoindre. Il me dit qu’il faut absolument que je vienne. J’en suis convaincu. Je le veux depuis des années. Dans un an, si Dieu me réponds. Je prie tous les soirs. Je me bats tous les jours. Je ne quitterai pas ce monde sans avoir vu Paris. Je le sais. Je suis fier de mon cousin. Je suis heureux pour lui, heureux comme ce couple qui s’embrasse sur ma carte. Je la montre à mes frères. Ils se marrent. Je contemple une nouvelle fois les deux amants, le lampadaire, les escaliers, ce numéro quarante trois. Je range la carte dans ma poche. Je vous verrais en vrai les amants de l'autre rive. Je verrais cette ville où l'on s'embrasse n'importe où et sous les feux des projecteurs. Je verrais cette ville où l'on transpire de bonheur.Je me le promets.
Il faut que je remercie mon cousin. Elle est jolie sa carte, il avait raison. Je suis content qu’il me l’ait envoyé. Je vais au cybercafé du coin de la rue voir s’il est connecté sur Internet. Je dis bonjours à Elias, le patron. Je lui donne cinq franc et me connecte sur un de ses ordinateurs. Il n’a pas l’air d’être en ligne. Tiens, Marion est en ligne, elle, et m'envoie le bonjour. Marion, une française que j’ai connu doucement, profondément, tendrement pendant les six derniers mois de la rénovation. Elle me dit qu’elle pense encore beaucoup à moi, qu’elle est triste de ne jamais avoir pu revenir. Je lui réponds que je le suis aussi, de ne pas avoir pu la rejoindre chez elle. Elle me dit qu’elle peut venir dans un mois. Je souris. C’est génial. Décidément je passe une très bonne journée aujourd’hui. C’est grâce aux personnes qui vivent en France. J’aime leur parler. J’aimais beaucoup être avec Marion, je me souviens encore nos étreintes. Je suis heureux qu’elle puisse revenir. Je lui demande : « Tu pourras me prendre dans tes bagages au retour ? Étrangement, je ne me sens pas gêné de poser la question. Elle me répond. « Oui. Ce sera peut être possible. On en parlera à mon arrivée. Il me tarde. Tu me manques, vous me manquez tous». Cette phrase est gravée, effaçant presque les suivantes. Sourire béat, et je vais le garder de bonnes heures, croyez moi. Une heure a passé. Je vais devoir quitter le cyber. Je dis au revoir à Marion. Je l’embrasse virtuellement, spirituellement. Mon cousin n’est toujours pas connecté. Tant pis, j’y retournerais demain pour le remercier. Je rentre à la collocation, me change, discute avec mes frères. Dix-huit heures, je pars travailler. Je suis serveur au maquis situé sur le boulevard à trois rues de chez nous. J’y sers l’alcool et anime certaines soirées. Ce soir, sûr, Je serais en forme, pensant à Marion, à mon cousin, à la France. Je chanterais...
Je chante…
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