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Les sentiments du vide
Je guette l’horizon depuis toujours. Le temps d’un songe, je tourne le dos à notre océan d’images pour me livrer, entièrement nu, à l’océan immense des sentiments humains. Le temps d’une immersion au fond d’un bassin, je me libère de la pression du monde. Je guette l’horizon depuis toujours.
Trente ans. Je passe au travers des journées tel un fantôme. J’ai oublié de vivre. Le sentiment de n’avoir d’autres choix que de chérir ma solitude pour éviter de libérer le hurlement de ma soumission.
Une plongée dans le fleuve des solitaires. Mon errance. J’apprends à ne pas y sombrer. Voguer sans s’épuiser car atteindre une rive ou un confluent de ce fleuve peut être long. J’erre avec un but. La branche. Cruciale. Ce que je convoite a un nom. Je savoure ce nom entendu, autrefois, dans une chanson. Il nourrit mes songes et fait saliver mon coeur. Je guette l’horizon depuis toujours. Voguer un jour sur le fleuve Amour.
Je guette. J’attends. Confus, j’avance aveuglément d’un pas. Pas plus. Ce pas libère des peurs incontrôlables. Ce pas demande du courage. Le courage de fuir. Le courage de vivre. Je m’arrête, me retourne et recouvre la vue. Un dernier regard puis un autre. Un sempiternel dernier regard sur les ornements de ma propre existence. Des images plus futiles les unes que les autres.
Dans les vestiaires, échanger des salutations furtives avec mes collègues. Débuter une énième journée de travail, pousser la porte de l’entrepôt et sombrer dans le vide des actions répétitives. L’odeur de la marée. Pendant plusieurs heures, réceptionner les caisses de poissons, les trier et les charger dans différents camions aux multiples destinations. Les heures passent. De nouvelles salutations furtives. Retour à demeure. Les jours passent. La solitude du corps est peut être la plus dure à accepter. Sortir. Le comptoir. Les heures passent. Rentrer au bras d’une inconnue désirée par l’ivresse. Combler une solitude et en exacerber le poids des autres. Réveil brumeux. Prétexte d’une journée chargée. «Tu dois partir. » « Tu m’appelles? » « Non. » « Connard! » « Oui je sais. » Scène risible de têtes baissées. Détresse. Culpabilité. Inertie. vide. Les heures passent. Les jours passent et se répètent. Aucuns de mes choix actuels ne me fera nager ailleurs que sur le fleuve des solitaires.
L’échec en filigrane. L’échec de l’inaction. Je pleure ma vie. Je n’agis pas pour quitter ce qui ressemble de plus en plus à une impasse. « Je ne suis pas à plaindre. Je suis à blâmer. » Peut commencer alors la longue tirade de l’auto flagellation. Toujours plus simple que la révolution d’un quotidien. Ce soir, j’épouse le désespoir mais me jure de le combattre jusqu’à ce que la mort nous sépare.
L’échec doit s’oublier. Dimanche au bord de mer. 11 Février. Le vent claque mon visage tordu par les regrets. Mes yeux guettent une échappatoire. Un énième songe pour ma vie sans étincelles. A t-on besoin d’en faire, des étincelles, pour être quelqu’un? Toujours seul. Toujours quelqu’un? L’échec rôde encore en mon coeur.
La solitude me berce encore. Mon habitude. J’ai tant cherché à vous plaire. Plaire à tout le monde. Je le cherche encore. Je suis donc seul. Seul parmi tant d’autres. Suis-je si loin de la goutte d’eau que je laisse perler sur mon épaule? Fermer les yeux. Suspendre le temps. Doucher mon corps jusqu’à mes pensées les plus profondes. L’abstraction m’enlace. Doucher mon coeur. Si abstrait que le vide me happe. Happé. Echoué. Ce texte reflètera mon sentiment le plus tenace. Seul le naufrage est promis à mes errances verbales. Un naufrage sans bruit, sans témoins et sans larmes extériorisées. Ma souffrance est absurde et peut être sanctionnée.
L’échec rôde encore en mon coeur.
Voguer un jour sur le fleuve Amour.
J’entends si souvent que les contraires s’attirent. Ce que j’en dis. Les contraires m’étirent. Un supplice ancestrale que m’infligent mes sentiments. Je suis le martyre de mes luttes internes. Le désespoir ou l’espérance. Je proclame quotidiennement une trêve par immersion dans un bassin d’eau froide. Mon symbole de la neutralité. De l’eau puis de l’air. De l’air puis de l’eau. Je simule une noyade comme un pied de nez à celle que je subis dans l’océan d’images sociétales. Je m’imprègne. Cette eau est mon parfum de l’oubli. L’oubli de mes contradictions, de mes postures bancales, de ma tristesse latente et de bien d’autres traits fidèles à ma condition. L’oubli du monde tel qu'il est, avec ses coins majestueux qui ne le sont qu’à la mesure du délabrement de leurs coins opposés. L’oubli des discours hypocrites applaudis par la foule. L’oubli des antagonismes étouffants nourris par les critères éphémères d’une réussite sociale.
De l’air puis de l’eau puis l’oubli.
Un sourire. Authentique. Un seul sourire peut sonner le glas de ces mots insignifiants. Un sourire et s’assèche le fleuve des solitaires. Un sourire et s’effondrent les parois du labyrinthe qui mène au fleuve Amour. Un sourire et je t’aime…
…en tout sourire sommeille une ode à la vie.
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