-
Le vagabond des songes
Je ne sais pas. J’aime bien commencer comme ça car, de fait, j’ai tout à apprendre. J’apprends. J’aime. J'apprends encore. Je pose des questions. Y'aura t-il une fin à mon apprentissage? Pourrais-je l'empêcher de s'évanouir dans les limbes de ma mémoire? Suis-je capable de te comprendre? Où? Où aller? Où?
Je ne sais pas où je vais mais je sais qu'au moins je fais une chose: Je claque des doigts.
Je suis à Tokyo. Barcelone, Londres, Paris, New York et leurs jumelles. Je suis ingénieur. J’ai toujours été un passionné de musique. Je suis ingénieur du son. Je travaille, exclusivement, auprès d’un pianiste italien, Giovanni Ancora, le compositeur de "rêveries sur un nuage". Je suis l’invisible de ses mélodies. J’ai toujours ressenti un besoin de légèreté. Je l’ai parfois trouvé dans les vestiges de ce que des fous condamnent fermement. Je l’ai parfois cherché sous les draps.La légèreté. Bref, ayant abusé de certaines substances pour l'acquérir, mon expérience de l’air s’est revêtue d’aspects pervers. J’ai décidé d’en libérer mes passions. Un jour hivernal, j’ai fait craquer tous les os de mon corps et dépoussiéré mes trésors. Je vous raconte. Je suis d’abord parti à Essakane, au Mali. Un rassemblement musical s'y tient chaque année. Le festival du désert. J’y ai rencontré Giovanni. Il pensait à entourer son ingénieur du son d’un assistant afin d’avoir un regard neuf sur ses compositions, et ainsi améliorer la pertinence de leurs arrangements. Ma vision musicale l’intéressait et Je m'en trouvais flatté. Mon voyage prit alors une tournure plus aisée. Peut être trop aisée ? Non, cette question n’est que le reflet de mes doutes occidentaux, mes errances de petit prince. Je traversais juste le monde de manière plus efficace. Après quelques années de voyage, Giovanni a décidé de continuer à travailler dans un endroit fixe. Il est rentré en Italie, je l'ai suivi. Nous voyageons moins mais j’arrange toujours les expressions du talent d’un homme et C’est très bien. Toutes les capitales du monde, beaucoup de chemins parcourus. Physiquement. Musicalement. Ma vie est pleine. Mon cœur chante. Je claque des doigts.
Je suis en Palestine. J’ai embrassé une cause, je l’ai choisi palestinienne. Je suis paumé en Palestine. Attristé, apeuré, horrifié. Je fais des efforts, je veux me rendre utile. L’armée d’Israël est bien trop puissante. Le satellite atlantiste. L’implantation occidentale sur les terres orientales s’est renforcée depuis l’existence de cet Etat-Nation. Le problème n’est pas religieux, il est géopolitique. Que puis-je faire alors ? Lancer des pierres comme les Hommes du coin ? Je ne sais pas. J’en reviens à ma question du départ. Ou allons-nous ? Le comprendrais-vous ? Je vous invite une nouvelle fois à un claquement de doigts. Je claque des doigts.
Je prends des notes. Un professeur raconte avec passion, scientifiquement, la vie de la noblesse française au XVIIIème siècle. Je note tout ce que je peux noter. Je ne réfléchis qu’à entendre et retranscrire par écrit les paroles savantes de mon professeur. J’entends la porte de l’amphithéâtre grincer. Un groupe d'étudiants vient militer. L'un d'eux coupe la parole à mon professeur.
« -Bonjour. Je viens vous convier à un rassemblement sur le parvis de l’université pour contester les...
-Je ne vous ai pas permis d’interrompre mon cour. Comptez-vous nous parler de la noblesse de robe ou du parlement des Dombes ? Non, alors je vous prie de sortir !
- Je suis désolé monsieur, je vais d’abord terminer de faire passer mon message et ensuite nous sortirons. Ce sera moins long si vous ne m’interrompez pas.
- Alors, faites, mais vite s’il vous plaît !
- Très bien, rassemblement sur le parvis de l’université à 12h30 pour contester et discuter de l’arrangement passé entre nos professeurs et le ministère de l’éducation pendant les vacances scolaires. Venez tous. Nous serons susceptibles, à l’issue de ce rassemblement, de considérer que nous sommes en grève. »
L’intervention était l’œuvre d’un passionné. Le leader de la troupe nous quitte fièrement, torse bombé. Bouche Révolutionnaire. Cœur désespéré. Comédien du « théâtre de l’ordinaire ». Je ne sais toujours pas. Le professeur nous dit quelques-unes de ses opinions en traitant de la nature de cette interruption. Il poursuit rapidement son cours, intitulé « Noblesse et Parlement ». Je reprends ma prise de notes. Je claque des doigts.
Je me baigne dans le bassin naturel d’une forêt Ghanéenne. Je vois la splendeur de ce lieu derrière une chute d’eau. Je rêve du monde et de ses reflets scintillants. Je baise la terre et pleure ses acquisitions meurtrières. Je comprends le nomade. Je respire, je vis. Cet endroit est magnifique. Je l’aime de mes yeux, de mon corps lavé. Moment inscrit. Je conditionne ma mémoire. Une chute d’eau m’a inspiré. Je claque des doigts.
Je regarde un film à Toronto, un délire de tarantinno qui m'inspire l'envie de faire claquer mes doigts. Je claque des doigts.
Une évasion vers la raison. Le temps d'un rythme saccadé, je rampe sur l'égocentrisme. Saleté d'époque! Vous me reprenez, je me reprends. Rêveur sans âme aux mille visages. Je n'ai plus de limites, j'ai vu un truc qui ne passe pas et que je garde sur le ventre depuis des années. Rien de mieux qu'un truc. Une chose indicible entourée d'une confusion féroce qui perds ses usagers. Je vis parmi les vaincus d'un continent fort. Dominés par des forces innommables, que l'on pourrait dire inhumaines si elles n'étaient pas humaines. Je suis d'Occident, un bordel psychique pas croyable. Je claque des doigts.
Une assemblée d'Hommes respire. Il est impossible d'en discerner quelconques lueurs de malices ou de tromperies. Je respire devant cette assemblée qui ne dévore pas les naifs. Nous sommes partout et nulle part. Ils disent que nous sommes si loin l'un de l'autre; que mes errances disgressives nous séparent. Je ne veux pas effacer ces mots, je ne veux pas vous en dire plus, je suis un gosse qui dérive vers l'horizon qu'il imagine. Je claque des doigts.
Ils tournent en rond. Un village du monde chante et voyage vers un salaire plus honorable. Je ne suis plus ici, sans liaisons, sans liens, un halluciné devant un cierge. Des images dévorantes, des mots et des rêves. Une confusion s'interprète, un cri du cœur s'en échappe. Le villageois me parle avec assurance dans une langue que je ne comprends pas. Je joue à des jeux que je ne connais pas. Je ne sais pas où je vais, pire, je suis sur de savoir qui je suis, une espèce de monstre moderne aux disfonctionnements persistant. L'absurde posé sur du papier peut permettre de voyager. Seuls les voyages comptent. Seul ce qu'en pensent les gens doit me rendre indifférent. Où je vais? Où je vous amène? Pour être franc, à cet instant donné, je n'en sais absolument rien. Je suis désolé. N'oubliez pas que je suis français. Là, maintenant, je dis n'importe quoi et je m'en fous. Quel dommage. Je claque des doigts.
Je claque des doigts, je claque des doigts... Et c'est tout. Je suis un homme qui claque des doigts et aimerait tant se faire appeler le vagabond des songes. Je claque des doigts.
Je vagabonde. Violence agricole. Des légionnaires retraités épouvantent les forêts. Ces discours me terrassent. Le maître de chai enseigne son métier. Il apprend ses taches professionnelles, gagne une autorité, en use. Usé. Foutu sa vie. Le jour où il a exercé cette autorité, le doigt sur la gâchette de son fusil de chasse en visant un inconnu qui l'avait offensé. Sa colère possédait sa raison. Sa colère était devenue sa raison de vivre. Il est un repenti qui crèvera jusqu'à son dernier souffle. Je te raconte les bas-fond d'une existence. Tu claques des doigts.
Je suis toi. Je suis un autre. Je suis là, je suis absent. Tu es las de ce monde. Tu es l'astre de mes nuits. Tu me livres à tes démons. Tu es le soleil de ma vie. Je confonds tous mes aimants. L'amour écrase, l'amour provoque les pires folies. Je suis un ours dans son abri. Je suis ailleurs, je veux me fuir, les têtes s'envolent, la mienne avec. Des mots, des mots, j'en veux encore. Je m'en repends allègrement. Non, je plaisante. Non,je ne sais pas. Je ne vois plus, efface moi. Je ne suis plus là. Siffle l'absence des vivants, souffle sur ce château de cartes. Je te claquerais entre les doigts.
-
Commentaires
!
MERCI